Voici Halima, la quarantaine. Une responsable administrative parisienne avec des origines méditerranéennes. Halima est le stéréotype de la femme que les applications de rencontre ont rendue inapte à toute rencontre.
Nous nous sommes rencontrés sur Tinder, évidemment.
Les échanges furent cordiaux et assez fluides. Mon profil de cadre dynamique lui avait plu, elle qui faisait tout depuis son enfance, par ses études et ses efforts, pour activer l’ascenseur social et s’intégrer à son pays d’accueil malgré son prénom, son nom, et la classe sociale de ses parents qui tous trois la plaçaient perdante.
Notre première rencontre se fit au gré de mes déplacements, tant bien que mal. Nous nous retrouvâmes Gare de Lyon pour un verre, j’avais deux heures devant moi avant mon TGV. Je choisis le Train Bleu, cela me paraissait un cadre assez classe pour une fille qui se démenait pour l’être, et ça allait bien avec ma tenue : je sortais de chez un client.
Elle eut beaucoup de retard, prétextant une course à finir. Cela m’étonna. Était-ce une manière d’asseoir un certain pouvoir, de faire croire à un niveau d’attraction moindre de sa part ? Je ne le sus jamais. Elle arriva enfin.
Ce premier échange fut excellent. Elle ressemblait à ses photos, en à peine moins bien, elle savait habiller ses formes généreuses, elle assumait son sourire, et elle avait de l’esprit. Je lui plus, c’était évident. Nous avions plaisanté par message juste avant le rendez-vous, imaginant que si notre rencontre se passait bien, je l’inviterais à prendre le train avec moi. C’était évidemment impossible pour elle, toutefois je voyais bien au moment de mon départ qu’une partie d’elle en aurait rêvé. La rencontre me laissa un souvenir tellement positif que je fis ce que je ne m’autorise jamais à faire : revenir sur Paris quelque jours après sans aucune autre raison qu’un second rendez-vous.
Ce second rendez-vous eu lieu un soir vers Opéra. C’était stratégique : elle habitait sur l’une des lignes de train partant de St-Lazare, et en cas d’échec, mon lieu de repli aussi.
Je m’installai à une terrasse de café pour l’attendre, ce mois d’août était doux. L’endroit se voulait simple, à l’écart des Grands Boulevards, sans prétention. Elle arriva avec le sourire et notre rendez-vous se déroula parfaitement. Elle avait envie de moi, le cachait tant bien que mal. Malheureusement, l’envie n’est pas tout avec une jeune fille comme elle, assommée par le poids des convenances, de la bienséance, de l’image que doit garder une « fille bien », bref, par toutes ces bêtises véhiculées par les cultures familiales issues des grandes religions monothéistes. Malgré un rendez-vous sans ombre au tableau, le rapprochement physique fut impossible avant de quitter le restaurant. Et avec une fille comme elle, dix minutes de marche et sept autres de RER ne suffisent pas à la convaincre d’accueillir un inconnu chez elle. Nous finîmes donc par quelques échanges de salive, prometteurs mais bien insuffisants. Alors que le train ralentissait à son arrêt, je vis les remords dans ses yeux, mais c’était bien une fin de non recevoir. D’une certaine manière, le spectacle était beau, une sorte de combat entre son envie et ses interdits (pardon, ses « valeurs »). M’enfin bon, la beauté n’est pas tout, et je finis seul ce soir-là. Définitivement, venir à Paris pour un rendez-vous est toujours une mauvaise idée.
Il fallut donc un troisième rendez-vous pour connaître Halima bibliquement. Cette fois-ci, je sécurisais l’issue en l’amenant à m’inviter chez elle, ce qu’elle accepta sans aucune résistance. Les valeurs vont bien cinq minutes, mais quand on a le feu, trois rendez-vous sont acceptables.
Sachant à l’avance l’issue de cette soirée, nos échanges épistolaires furent plus directs. Ils m’apprirent, par les multiples alertes qu’elle me donnait explicitement, que son niveau d’appétence pour la chose et sa luxure de manière générale étaient faibles. Cela n’allait pas être le coup du siècle, il était donc hors de question que je remonte à Paris juste pour ça. Elle dû donc attendre mon déplacement professionnel suivant.
Son appartement n’était pas dans la zone la plus vilaine de Clichy, et n’était pas le plus vilain de la zone. Un T2 mignon et relativement bien agencé. Sa décoration était évidemment trop simple, cela ressemblait presque à un appartement témoin. Tenue, appart, livres, décoration, elle se conformait à tous les standards de la classe à laquelle elle appartenait.
Nous entamâmes les hostilités dès le premier verre. Elle avait assez attendu et savait pourquoi elle me faisait venir. Même si son stress était manifeste, elle me laissait faire. Elle avait mis pour l’occasion une lingerie en dentelle rouge qui lui allait bien, et la faisait se sentir un peu désirable. Je lui confirmai son impression en lui bouffant la chatte sur son canapé. Le reste est par contre assez flou. Je ne crois pas me souvenir qu’elle m’ait sucé, et cela n’aurait de toute façon pas été à la hauteur. Il me semble que nous avons arrêté provisoirement après son premier orgasme, ou du moins la vague de plaisir que sa gêne lui permettait d’avoir.
Tout est décidément très embrumé dans mon esprit. Je crois me souvenir d’une pénétration assez peu satisfaisante après le repas que j’avais préparé, puis une autre le lendemain matin au réveil. Bref, c’était très mauvais, et malgré des trésors de politesses pour lui faire croire l’inverse, je pense qu’elle en avait conscience. C’est après le lever que la situation s’envenima.
En m’éclipsant dans la salle de bain, je me heurtai à un problème avec la douche. Malgré tous mes efforts, impossible de baisser la température au-dessous d’une chaleur brûlante. Peut-être acceptable pour une femme, mais impossible à supporter pour un homme qui aime l’eau tiède le matin. Je me douchai donc tant bien que mal, en quatrième vitesse, avant que ma peau ne fonde. À la sortie, alors qu’elle avait fait couler le café, je lui fis part du problème, espérant une fausse manipulation de ma part. Malheureusement, c’était bien le classique « ça marche plus mais je fais réparer dans 15 jours », l’expression la plus pure de l’inaptitude feminine à gérer la technique.
Ce récit n’aurait strictement aucun intérêt sociologique sans la demi-heure qui suivit. Pour la comprendre, il me faut faire un peu de théorie.
Le déséquilibre de l’offre et de la demande dans la séduction, et particulièrement sur les applis de rencontre, amène inévitablement les femmes à viser trop haut. Elles se retrouvent alors à converser avec des hommes trop bien pour elles, qui n’en veulent qu’à leur cul. Elles globalisent ensuite ces mésaventures à l’ensemble des hommes, puisque leur connaissance du monde se limite à leur monde visible. La gente masculine devient, par essence, en quête obsessionnelle de baise sans lendemain.
On pourrait gloser sur la réalité évolutionnaire de cette vision, mais toujours est-il que le moment suivant le sexe est toujours chargé de stress chez une femme. C’est l’instant du jugement final. Va-t-il rester ou partir ? Va-t-il vouloir me revoir ou était-il juste attiré par mon cul comme tous les autres ?
Halima, plus que toute autre femme, était pétrifiée ce matin. Entre sa conscience au moins vague de ne pas être un « bon coup » et sa vie passée à lutter pour son ascension, très certainement parsemée de déconvenues, elle attendait le verdict avec fébrilité et guettait tous les indices que mon comportement pouvait laisser transparaître. Quitte à voir des signes n’importe où, même dans les échanges sans aucune signification.
Ma remarque sur la douche défectueuse fut le premier faux indice qu’elle crut identifier. La terreur se lisait dans ses yeux, et une forme de colère commençait à poindre. Une deuxième remarque anodine de ma part, dont j’ai depuis oublié le sujet, finit de la convaincre. Alors que nous sortions de son appartement pour rejoindre le RER et vaquer chacun à nos obligations professionnelles, elle était déjà certaine que notre histoire était finie.
De mon côté, je ne disais trop rien. Il aurait été poli d’entretenir une conversation avec elle pendant cette quinzaine de minutes. D’autant que malgré la piètre nuit qui venait de se dérouler, j’aurais volontiers remis le couvert. Même si mon plaisir physique n’aurait jamais été au rendez-vous avec elle, son corps charnu aux traits méditerranéens m’inspirait. Je me serais bien abîmé entre ses jambes encore une ou deux fois.
Mais je ne suis pas du matin. C’est comme ça.
Alors je la laissai à ses certitudes, m’en séparait sans même forcer un baiser sur le quai, dont elle n’avait déjà plus envie, et notre relation se finit quelques jours plus tard par quelques messages aigris de sa part.
J’aurais dû être plus poli. Après tout, elle n’était qu’une victime de plus des applis de rencontre.