Voici Diane. 35 ans. Une petite brune BCBG que tout fils à maman voudrait avoir. Une bûcheuse bien élevée dans une famille bourgeoise catholique de province. Un parcours sans faute : bac avec mention, droit, études notariales, associée avant 35 ans.
Diane a le corps svelte et la peau douce d’une femme qui n’a jamais fait d’excès. Ses yeux restent invariablement sombres malgré leur bleu étincelant, et elle arpente les rues de Paris le soir tard en rentrant du travail dans son tailleur et ses talons de cinq centimètres.
Je l’ai rencontrée sur Tinder. Elle est de ces femmes trop occupées par leur travail pour laisser la moindre place à une rencontre dans leur vie. De guerre lasse, elle a installé Tinder pour essayer d’y remédier sans changer la moindre chose dans son organisation. Je pourrais dire que nous avons longuement échangé par écrit, mais ce ne serait qu’à moitié vrai. Nous avons échangé beaucoup, certes, mais principalement des banalités. Diane est de ces femmes qui, sorties de leur travail et de leurs courtes vacances en voile, n’ont le temps pour rien, et donc n’ont le goût de rien, surtout pas des interactions sociales.
Nous nous sommes finalement rencontrés un soir à Opéra, nous avions convenu d’aller directement dîner chez elle. Décidément elle n’était pas très aguerrie à la phase de séduction.
Son appartement était à son image : magnifique, dispendieux, rangé au cordeau et froid comme une crypte. Un T3 haussmannien du IXe arrondissement refait à neuf qui devait avoisiner le million d’euros.
Nous avons fait connaissance, bu, mangé, discuté sur son canapé. J’ai laissé passer le temps nécessaire pour qu’elle se sente à l’aise. Puis je l’ai embrassée. Elle n’a opposé aucune résistance, ce qui est plutôt surprenant. Elle devait réellement être en manque de contact. Nous avons fait l’amour, calmement. C’était timide, scolaire, et franchement pas très satisfaisant pour moi sur le plan des sensations brutes. Mais c’était intellectuellement divin. Elle était belle. Son corps était beau. Elle était mon fantasme de jeunesse. J’ai adoré la faire monter avec ma langue et mes mains. Elle m’a même surpris à accepter et apprécier un doigt dans le fondement. « Mais pas plus », me dit-elle entre deux râles.
Nous nous revîmes plusieurs fois chez elle. Les hasards de mon emploi du temps m’obligèrent à y rester des journées entières pour télétravailler, ce qu’elle accepta sans aucune résistance, me laissant seul maître des lieux. Je la remerciais en lui préparant de bons dîners, qu’elle dévorait avec délectation et une certaine joie enfantine. Manifestement les hommes de sa vie avaient dû beaucoup la délaisser.
Ce manège répété plusieurs fois l’empêcha de me ranger dans la moindre case. J’avais instauré une atmosphère singulière qui la déstabilisait : elle me connaissait peu, mais me laissait quand même son appartement avec une certaine confiance aveugle, ce qui la surprenait elle-même. Et se retrouver le soir choyée par un repas délicieux dans un appartement laissé impeccable bousculait ses habitudes, rassurait ses craintes, et me confortait dans la position d’étrangeté.
Nous finissions invariablement l’un dans l’autre, dans des rapports globalement chastes, de la baisouille de catho prude que je dévergondais en lui faisant verbaliser qu’elle se sentait salope. Au fond elle ne l’était pas vraiment, salope, mais les mots ont parfois leur douceur à l’oreille.
Notre relation s’effilocha rapidement car je n’étais pas assez disponible. Il faut dire que Diane avait un défaut qui me titillait : elle était longue à l’envie. À chaque fois que nous nous revoyions, même simplement après une journée de travail, il lui fallait bien le temps d’un verre, puis d’un repas, puis d’un dernier fond de verre avant que la chaudière ne démarre. Moi que sa beauté froide faisait partir au quart de tour, j’étais frustré de ne pouvoir la prendre en talons dans le couloir dès son arrivée. Cet appart si haut de plafond se serait pourtant merveilleusement prêté à de la baise sale à même le sol. Nos vêtements jonchant en désordre le parquet de cet espace majestueux et ordonné auraient produit un tableau érotique exquis.
Nous nous vîmes une dernière soirée chez elle. Ce soir-là, même après le fond de verre, elle se refusait à moi. Cette fois-ci ce n’était pas une question de chaudière, mais de pur caprice enfantin. Je ne supporte pas les caprices. Après deux tentatives, je me levai du lit et partis en direction de la salle de bain. Elle me retint par le bras, violemment. Elle comprit enfin qu’elle m’avait agacé, mais sa réaction fut de me rattraper, comme une enfant paniquée d’être allée trop loin. Il fallut que je la regarde dans les yeux et lui dise de me lâcher pour qu’elle comprenne que je ne plaisantais pas. J’en avais ma claque.
Une fois passé à la salle de bain et revenu au lit, nous nous lançâmes dans une discussion pénible. Elle m’expliqua ce que je savais déjà : ce qu’elle ressentait, ses craintes, son côté prude, ce qu’elle s’imaginait de mes attentes et qui la bloquait. Je conservai encore un peu ma froideur. Puis je la pris dans mes bras et l’embrassai. Le contraste fut saisissant. Cette nuit-là, je la baisai pour la dernière fois, un peu plus virilement que les précédentes. De son point de vue, ce fut sans doute une partie de sexe débridée et intense.
Nous étions nés dans des mondes similaires, mais nous n’avions pas pris la même direction. Après cette belle parenthèse, il était temps que je la rende à l’univers, afin qu’elle trouve et se case avec son semblable.
Il ne faut pas chambouler la marche normale des choses trop longtemps.